Vieillir, premier épisode

Je regardais ces « nouveaux vieux » en forme, énergiques, partir en safari, coiffés de chapeaux Tilley beiges, armés de leurs super Nikon au zoom long de même. J’étais dubitative. Je savais qu’un jour il me faudrait penser retraite, REER autrement que sous forme de crédit d’impôt, d’avoir beaucoup de temps à moi, et franchement, je trouvais un peu triste cette illusion de jeunesse éternelle, mais avec ses codes, son mode vestimentaire et le « kit-kodak » prêt à affronter n’importe quoi – comme si rien n’arrêtait ces « adu-vieux ». De toutes manières, j’étais trop jeune pour envisager cette période transitoire entre la vie active et la vieillesse qui mène à la mort.

Ce matin, j’ai 55 ans. Je réalise que je possède depuis plus de 15 ans, un chapeau Tilley beige. C’est vraiment de la belle qualité. On raconte qu’un jour, un éléphant en a mangé un et qu’après restitution, (et après lavage, j’imagine) le couvre-chef se laissait toujours aussi fièrement porter.

L’an dernier, nous avons acheté une maison dans un quartier plus rural. Les anciens propriétaires avaient laissé un poteau pour mangeoires d’oiseaux. Je me suis dit : « tiens, pourquoi pas! ». Mon amie Julie m’avait donné la recette universelle pour les mangeoires : de la graine de tournesol noire.

Ma première cage a duré le temps d’une sortie pour quelques jours. J’avais acheté le modèle en forme de grange rouge champêtre en plastique. À notre retour, horreur : la construction était complètement détruite. Il ne restait plus de graines, et quelques suspects rodaient encore autour des restes de graines : les écureuils.

Comme il me restait un plein sac de graines, je me suis procurée une mangeoire anti-écureuils. Et je crois que c’est à partir de notre deuxième mangeoire que doucement, je suis devenue une « adu-vieille ». Avec la complicité de mon mari, qui a tout de même une décennie de plus que moi et qui, pour cette raison, selon moi, a de meilleures raisons de s’intéresser aux oiseaux, nous avons acheté une nouvelle cage, plus grosse. Et c’est là, je crois, que nous avons tous les deux dérapés dans cette folie aviaire.

D’abord, nous avons appris que les écureuils connaissent les diverses cages. Ils sont fins observateurs aussi. Rendu à l’hiver, c’est mon mari qui a pris le parti de chasser les petits-gris (et les petits-noirs, et les petits-roux itou). Il n’était pas question de graisser les poteaux qui soutiennent les cages, alors il a vu quelque part que les écureuils n’arrivaient pas à déjouer les « slinky ». À force d’essais, les bêtes les plus rusées arrivaient à déjouer le « slinky ». Alors on a glissé un petit format de « slinky » dans le plus grand. Mais ce n’était pas suffisant. Mon mari, faisant fi de toute considération esthétique a accroché des assiettes à tarte à la base des poteaux. Voilà ! Enfin ! Il a eu raison des écureuils.

Mais, avec le printemps, sont arrivées les mainates. Ces oiseaux noirs aux yeux jaunes, qui ont emprunté leur chant (cri) aux corbeaux. Ils sont arrivés en gang. Ils adorent la graine de tournesol. Ils ont chassé nos petits oiseaux. Ne restaient que des bandes d’oiseaux noirs et des écureuils. Les oiseaux, ne faisant pas dans la dentelle, ravageaient les cages, les vidaient littéralement, laissant des quantités incroyables pour le buffet des petits rats dotés d’une queue ravissante. C’est là que mon mari a déclaré avoir un problème : nous voulions des petits oiseaux chanteurs, aucun ne nous visitait désormais. Puis, il devait gérer les mainates, les écureuils, et moi aussi (je ne sais pas comment, je suis devenue une partie du problème – je ne faisais qu’acheter plus de mangeoires et de types de graines).

Mon mari a entrepris de modifier les cages pour empêcher les oiseaux. Plus il s’y mettait, plus ça enlaidissait le parc. Avec la broche à poules, nous avons fait revenir les chardonnerets. Deux. Et à la fin, avec des cônes appropriés, nous avons remplacé les assiettes à tartes, et avons réussis à ne plus attirer que des petits oiseaux chanteurs.

Mais…. Parmi les petits oiseaux chanteurs, on retrouve le bruant. Petit oiseau malcommode qui, avec son bec, vide les mangeoires. La graine se retrouve par terre, appelant écureuils et mainates. Par contre, ces deux espèces n’ont plus d’accès direct aux mangeoires de graine fraîche.

Heureusement que nous avons aussi une famille de lapins, car les bruants aiment particulièrement vider la mangeoire de carthame, nourriture préférée du cardinal. Les mainates n’aiment pas cette graine, et les écureuils en mangent seulement s’il n’y a rien d’autre. Comme le bruant vide tout, il y a plein d’autre nourriture pour eux au menu. Le lapin aide au nettoyage. Merci lapin.

Et puis, depuis que nous avons enfin organisé notre parc aviaire, un nouvel oiseau a fait son apparition : le pic-bois. Il se promène dans le parc comme s’il s’agissait d’une attraction. Il passe du tube de graines de chardon destinés aux chardonnerets, va boire le nectar des colibris, passe à la grosse cage de tournesols et retourne dans son arbre. Il peut faire de nombreux allers-retours dans une journée. Je l’ai baptisé mon « coli-pic ».

Mon mari a poussé la zénitude à installer une statue de bouddha que les écureuils apprécient. Et, parmi les écureuils, je me suis attachée à un petit noir que j’ai baptisé « Pantalon ». Quand il arrive, les petits écureuils se poussent, probablement parce qu’il est gros et qu’il a su vaincre sa différence par la force. Enfin, j’imagine.

 

Aujourd’hui, à 55 ans, je prends plaisir à m’asseoir, Lumix 24 megapixels à la main, à observer la vie dans mon parc aviaire, qui me surprend chaque fois, que je trouve belle et qui me fait comprendre que vieillir c’est aussi prendre le temps d’apprécier ce qui m’entoure : la nature,  les gens que j’aime et les projets excitants qui s’immiscent dans mon monde.

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