Carte postale du chemin de Compostelle 2018 : Le Puy-en-Velay à Conques
Mai 2016, la vie m’a menée sur un tronçon du Camino. Au retour, il m’a fallu des mois pour comprendre ce qui avait déraillé dans ma vie huilée et organisée au quart de tour. J’ai alors écrit ceci (extrait de « Revenir de Compostelle », Miniatures, 2017) :
« Mes pérégrinations allaient inévitablement me conduire sur le chemin de Compostelle un jour. Ce projet appartenait à la retraite, quand je disposerais de six semaines consécutives de vacances. Je remettais cette entreprise à plus tard aussi à cause de l’aura religieuse qui plane sur le Camino. Fille de la Révolution tranquille, j’avais toujours ressenti de l’inconfort face aux prêcheurs de tout acabit. J’avais peur des évangélisateurs que je risquais de rencontrer sur le chemin de Compostelle.
…
Sur le chemin, je n’ai rencontré qu’une seule personne en mission d’évangélisation. Et je suis allée vers elle parce que j’étais rendue à la dernière étape et que j’avais alors besoin de comprendre des choses qu’elle saurait m’expliquer.
Je reprendrai le chemin de Compostelle, et la prochaine fois, je refrénerai mon outrecuidance. À l’instar des personnes rencontrées, j’aborderai le Camino avec humilité, et cueillerai avec gratitude chacun de ses petits miracles. »
Deux ans plus tard, j’ai repris la route. René et Tibou m’ont accompagné sur le tronçon Puy-en-Velay – Conques.
Arrivée
Le Puy est situé dans le Massif central. Le « Puy » qui signifie « sommet » est situé de 600 à 700 mètres d’altitude. Ses pitons rocheux sur lesquels on a érigé des monuments dominent la ville. Une immense statue de la vierge veille : construite en 1860, faite de fonte de fer et grande de 16 mètres, la statue rouge de Notre-Dame de France a été pendant un moment la plus haute statue au monde avant d’être détrônée par la statue de la Liberté.
À moins de dix minutes de la vierge, au faîte d’un autre piton, se trouve la Chapelle Saint-Michel, consacrée à l’archange, érigée au Xème siècle.
Nous avons passé la majeure partie de la première journée à visiter ces monuments, à monter et descendre des escaliers et des routes inclinées.
L’immense cathédrale est percée quelque part à la limite de la croisée du transept et de sa nef d’un escalier qui s’ouvre sur la ville. De l’édifice religieux, on peut descendre dans la partie basse de la cité.
Puis, pour nous imprégner du chemin nous sommes allés faire un tour au musée Le Camino.
On doit à Saint-Jacques le Majeur, apôtre de Jésus la tradition de l’important pèlerinage de la chrétienté, un des trois grands en Europe avec Rome et Jérusalem. Après la Pentecôte, Saint-Jacques serait allé évangéliser l’Espagne. Après quelques années, il revient à Jérusalem ou il sera décapité en l’an 44, devenant un des premiers martyrs chrétiens. La légende raconte que ses disciples auraient recueilli sa dépouille pour la transporter jusqu’à Cap Finisterre en Galice où le corps aurait été enterré. Ce n’est qu’au début du IXème siècle que sa dépouille sera découverte. On érigera alors sur le lieu présumé de son tombeau une première église. Plus tard, une cathédrale sera inaugurée à cet endroit, et la nouvelle se répandra dans toute la chrétienté. Les premiers pèlerins feront de ce lieu de culte une destination qui prendra de plus en plus d’importance.
Cette cathédrale sera détruite par les Maures en 997, puis reconstruite à compter de 1078. C’est cette même cathédrale romane qui accueille aujourd’hui plus de 300,000 pèlerins chaque année.
Le musée raconte l’histoire du chemin et offre de nombreux témoignages. On vient habituellement sur le Camino chercher quelque chose. On reconnaît le pèlerin sur les images anciennes à sa besace qui contient tout son bagage, son bourdon, un long bâton ferré à la base et surmonté d’un ornement arrondi, objet qui soutien le marcheur tout en lui servant d’arme blanche a besoin, ainsi que sa coquille cueillie à Cap Finisterre, destination finale du voyage. Cette coquille est le signe qu’un homme nouveau rentre au pays, le chemin l’aura transformé. Aujourd’hui on reconnaît le pèlerin presque aux mêmes attributs : bottes, sac à dos, bâtons et la démarche lente de celui qui doit parcourir de nombreux kilomètres avant le prochain arrêt.
Nous ne sommes pas restés au musée pour le cocktail des pèlerins, c’était trop demander à René. Dommage, car on aurait pu faire la connaissance de Béatrice dont on n’a qu’entendu parler sur Radio Camino.
Radio Camino c’est une drôle d’affaire. C’est un réseau de commérage hyper efficace qui vise un petit nombre de pèlerins qui se trouvent sur le chemin dans la même région à un moment donné.
Jour 1 : Puy-en-Velay à Dallas (Saint-Privat), 18km
Nous ne sommes pas partis de la cathédrale. Nous n’avons pas assisté à la messe. Nous n’avons pas eu notre médaille de départ. Nous avons pris la route à partir du centre du Puy et avons parcouru les 18 kilomètres au pays de la lentille verte.
Je tiens habituellement la forme, mais cette année, je me suis contentée du yoga – ce qui n’aide en rien à fortifier le cardio. Après une journée passée à monter et descendre au Puy, j’avais les muscles des jambes raides, et vers le milieu de l’après-midi, je ne pouvais plus que faire des petits pas. Comme il faisait très beau et que nous ne nous étions pas méfiés du soleil, nous avons été quitte pour un coup de soleil sur le nez, le visage, les avant-bras et les mains.
En marchant, nous avons croisé un petit groupe composé de trois hommes. Nous avons fait la causette avec l’un d’eux. Après les avoir quittés, nous avons marché un peu devant eux, juste assez près pour entendre le marcheur raconter à ses amis qui nous étions, d’où nous venions, etc… voilà que nous étions fichés sur Radio Camino.
Au bout de plusieurs heures de marche, nous sommes arrivés au gîte : une magnifique maison ancestrale, avec une petite ferme peuplée de chevaux et de poules. C’est là que nous avons fait la connaissance de Christophe et Sébastien, tous deux de l’est de la France. Nous croiserons Sébastien à quelques reprises par la suite.
Jour 2 : Dallas à Saugues, 23 km
On oublie comment marcher. On oublie de ralentir en montée. En tous cas, moi j’avais oublié.
Cette longue étape comporte une importante descente vers Monistrol, et juste après, c’est la « fameuse » montée qui mène à la Chapelle de la Madelaine, surprenante église troglodyte, nichée dans une grotte, construite au XVIIème siècle. La façade est superbement conservée. Le lieu est clos, mais en passant ma main à travers les barreaux, j’ai pu chiper une étonnante photo.
C’est aussi à la Madeleine que j’ai dû faire ma première pause car j’avais mal au cœur et je voyais des étoiles. Nous marchions depuis moins de 4 heures, et René s’inquiétait déjà du reste du chemin. Il se faisait des calculs mentaux : si elle arrête chaque 10 minutes, combien de temps nous faudra-t-il pour parcourir les 10 kilomètres restants ? Mais au moment où il spéculait, la montée était derrière nous. Toutefois, René a cru bon de me rappeler mes bases : « pole-pole » comme en Afrique dès que ça monte.
À Saugues où nous avons tout de même fini par arriver vers les 16h30, nous avons trouvé une sympathique terrasse pour prendre une bière. C’était pas mal comme heure d’arrivée, parce que tout ce qu’il reste à faire après une journée de marche c’est de se laver, manger, et dormir. Car il faut bien le dire, aller prendre une marche en soirée ne fait pas partie des options. Mais dormir. On se couchait vers les 21h presque chaque soir, et il fallait mettre le cadran pour se réveiller à 7 h le lendemain matin.
Jour 3 : Saugues à Les Faux 26km
Le chemin était beaucoup moins accidenté que la veille, il faisait plus frais aussi, autour de 13 degrés.
En tout début de parcours, nous avons suivi pendant quelques minutes deux filles qui chantaient des airs liturgiques. C’est aussi ça le chemin.
Juste avant d’arriver au secteur Le Sauvage, alors que nous avions près de 18 kilomètres de parcouru, un homme arrive au pas de course, prend René par les épaules et demande :
– Alors René ? Comment se passe la retraite ?
C’était Sébastien, nous le croyions loin devant. C’est sur la montée de La Madeleine qu’il a dit à Christophe de continuer sans lui. Il avait réservé au gîte Le Sauvage. Comme nous avions acheté un sandwich mais que nous n’avions pas pris le temps de manger, nous avons fait une halte et pris de la bière. Erreur. Quand nous sommes repartis, les 8 kilomètres qui restaient nous ont semblé trois fois la distance.
Juste en repartant, René aperçoit un guide de voyage par terre. Il le ramasse, le met dans mon sac. Quelques kilomètres plus loin, deux hommes sont assis en bordure du chemin. Un anglais et un écossais. Ils nous demandent si on n’a pas par hasard trouvé un livre. Nous leur remettons. Ils sont franchement heureux parce qu’ils ont réservé les trois prochaines nuitées et le détail de leur réservation est écrite dans le guide perdu. Ils nous promettent une bière.
Il nous faudra une éternité pour se rendre à l’auberge ce soir-là. L’employé de la réception nous affirme que les guides sont restés sur des mauvaises distances et que nous avons parcouru probablement 2 à 3 kilomètres de plus que les 26 annoncés.
L’endroit est magnifique. Nous tentons de prendre un verre à l’extérieur, mais il fait franchement trop frais. Nous rentrons.
Jour 4 : Les Faux – Aumont-Aubrac 21km
Belle journée fraîche. De belles variantes du Camino se sont déroulées sous nos yeux tout au long de la journée.
Sur ce parcours, nous croisons beaucoup de lieux de culte. De la petite chapelle à la cathédrale, tous ces bâtiments construits à différentes époques, mais tous empreints de ferveur religieuse m’ont amené à tenter de comprendre la foi. À chercher à comprendre à quoi on aspire quand notre vie durant on construit un monument qu’on ne verra pas achevé de notre vivant. J’ai aimé prendre le temps de s’asseoir dans ces églises, s’enrober de l’énergie de ces constructions et de ce qu’ont laissé les milliers de personnes qui ont offert leurs peines, leurs joies, leurs incompréhensions dans ces murs.
On dit du chemin que l’expérience se raconte difficilement. On dit aussi que le chemin ne nous apporte que ce dont on a besoin, pas ce que l’on désire. Cette fois-ci, le chemin m’a dévoilé quelques visages de la foi.
Sur la liste des hébergements, pour la soirée à Aumont-Aubrac, il y avait un symbole : laveuse. Nous avions planifié laver nos vêtements ce soir-là. Après une longue journée de marche, nous arrivons donc dans un superbe complexe hôtelier avec spa, restaurant, brasserie. Je demande où est la buanderie. On me répond : vous devez retourner au village. Retourner sur mes pas ?? Hors de question !!
Heureusement nous avions une grande chambre, et beaucoup de belles grandes serviettes. Après négociations avec mon partenaire qui lui aussi rêvait de vêtements propres, j’ai fait un méga lavage à la main. Nous avons pu ouvrir la fenêtre pour sécher et presque tout était sec le lendemain matin.
Note à moi- même : me procurer une corde à linge de voyage et des épingles petit format.
C’est à Aumont-Aubrac que pour la première fois j’ai senti le regard insistant que René posait sur les couteaux Laguiole. René aime les couteaux, mais il ne cuisine pas. Il m’a offert un magnifique couteau aux fêtes : une création artisanale, manche en bois trempé dans la résine, lame japonaise, 67 épaisseurs de métal. Mais il ne l’utilise pas. Il le lave, le range, mais il ne fait rien avec. En Corse, il s’était acheté un couteau. Je ne sais diable pas où il se trouve dans la maison. Et puis, moi je ne sais pas que ça existe les couteaux Laguiole. Pourtant, je cuisine, je lis, je fouine sur les sites de bouffe, je regarde les compétitions de chefs à la télé.
Nous sommes vendredi et on nous annonce de la pluie tout le weekend en crescendo : petite pluie fine samedi et orages dimanche. Nous sommes tôt au printemps, et on le sent bien.
Jour 5 : Aumont-Aubrac – Nasbinals 26 km
C’est sur ce tronçon que naîtra l’expression : faire une Louise de soi-même. Mais je ne l’apprendrai que plus tard. Cela veut dire : mettre son imperméable, l’enlever, le remettre sans l’attacher, l’attacher, l’enlever, le rouler pour le garder à la ceinture, le reprendre, le remettre, l’enlever… Ce sont nos nouveaux amis, Anne et John qui nous l’apprendront quelques jours plus tard. Nous avons marché presque toute la journée avec eux jusqu’à Nasbinals, et ils ont eu tout le loisir de m’observer, et le temps était au crachin d’intensité variable.
Le parcours était tout en montée, mais relativement peu escarpé. John et René ont marché ensemble lentement en placotant, tandis que j’ai marché un peu avec Anne, un peu seule. Anne est une toute petite chèvre de montagnes. Elle adore monter à toute vitesse et attendre son compagnon. Le match était parfait, c’est possiblement là que j’ai fini par trouver mon rythme.
Notre hôtel était situé juste à l’arrière d’une majestueuse église romane du 14ème siècle construite en basalte brun. C’était un vieil hôtel, un peu en labyrinthe. Quand nous avons saisi comment ouvrir les volets, nous avons pu profiter du charme de la toute petite chambre drôlement disposée.
C’est au cours de la nuit que nous avons mesuré l’incongruité des divisions : comme il ventait, René a voulu fermer la fenêtre, mais dans l’obscurité, il ne l’a jamais trouvée. Puis, je me suis levée dans le noir pour aller aux toilettes, et je me suis retrouvée dans le garde-robe d’entrée. Le lendemain matin, René est sorti de la chambre avec sa valise, il a ouvert une autre porte ( a prononcé un juron) et ne savait vraiment plus où il se trouvait : il avait enfilé dans la chambre située juste en face de la nôtre. J’ai failli penser que nous étions dans un lieu hanté où les murs se déplaçaient comme dans Harry Potter… mais
je me suis retenue.
Jour 6 : Nasbinals – St-Chély d’Aubrac 17km
Dimanche. Jour de tempête annoncée. Il vente. Il fait froid. Si le ciel est découvert lorsque nous prenons le chemin, il se couvre rapidement. Le paysage est complètement différent, on se croirait en Irlande ou en Écosse. On parcourt les champs. Il y a des clôtures à ouvrir et fermer comme en Irlande ou Écosse. On trouve même une version labyrinthe de la fameuse « kissing gate ».
La météo nous annonce de la pluie à partir de midi et le guide Michelin qualifie le parcours d’hasardeux.
Comme nous avons peu de kilomètres à marcher, nous choisissons de marcher le plus longtemps possible, idéalement toute la distance avant de s’arrêter pour manger.
Après avoir emprunté des « drailles », les chemins de la transhumance, nous avons croisé le village d’Aubrac. L’imposante église construite au XIIème siècle, épargnée par le temps et les guerres faisait partie d’un complexe qui comprenait un hospice et une tour maintenant convertie en gîte. Nous rencontrons des pèlerins qui prennent le temps de visiter, de s’arrêter prendre un café.
À midi pile, nous nous engageons dans la dernière partie du chemin. C’est une descente en sentier plutôt rocailleux. Nous sommes en tête de peloton comme nous n’avons pas fait d’arrêt. La pluie commence doucement, et s’intensifiera tout l’après-midi. Vers 13 heures nous arrivons à destination. Nos chambres sont prêtes. Nous nous y réfugions pour y manger nos sandwichs, se laver, prendre le temps de lire quelques heures avant d’aller prendre une bière.
Ce soir-là au resto, j’ai mangé un pavé de bœuf incroyablement tendre et assaisonné à la perfection. Un mot sur la nourriture : très variable. Nous avons eu des repas exceptionnels, mais des mets moins intéressants. C’est aussi ça la constance du chemin : tout peut varier.
Jour 7 : St-Chély d’Aubrac – Espalion 22km
Le temps était encore au gris. Les premiers 16 km se sont déroulés sous la pluie par moments, ou sous le crachin. La sortie de St-Chély était vraiment typique du chemin : des maisons de pierre près d’un petit pont qui surplombe une rivière. Plus loin, un cimetière qui domine la vallée. Le gris du ciel faisait ressortir les couleurs et les jeunes pousses des arbres se dévoilaient dans la plus tendre des nuances de vert.
Rapidement, nous avons rejoint une forêt de feuillus. La grisaille donnait un éclat incroyable aux arbres. J’ai pris beaucoup de photos, c’était vraiment beau.
Rejoindre St-Côme situé à 16 kilomètres du départ a été plutôt facile. Tellement que nous avons décidé de prendre une pause-bière à St-Côme d’Olt. Il n’y avait rien d’ouvert. Il était 14h, mais peut-être un peu tôt en saison. J’aurais aimé aller aux toilettes, j’ai dû me contenter du petit bois. J’étais un poil contrariée, mais au bout du compte, c’était une excellente chose que nous ne puissions pas nous arrêter à St-Côme.
Juste après le splendide village, le sentier s’est transformé. Il est devenu moins hospitalier, un peu spongieux de la pluie des derniers jours, et en montée et descente. Le chemin passe par une carrière de basalte et remonte jusqu’à la statue de la vierge Notre-Dame-de-Vermus qui surplombe la vallée du Lot. Ces 6 kilomètres nous ont pris un peu plus de 2 heures. Éprouvant.
Puis, enfin arrivés à Espalion, nous apercevons la remarquable église de Perse, perchée sur un buton. Elle fut construite vers le Xième siècle en grès rose. On doit encore monter quelques marches pour la visiter, mais cela vaut le coup.
Il est 17h quand nous nous attablons enfin devant une bière.
Au resto, nous retrouvons nos amis Anne et John, et c’est là que nous apprenons l’expression « faire une Louise de soi-même ». Ils promettent qu’elle survivra au temps. J’en suis fort aise. J’aurais préféré laisser ma marque autrement, mais bon.
Jour 8 : Espalion – Estaing 11km
Petite journée de récupération. Le trajet est ainsi fait pour nous permettre de visiter le splendide village d’Estaing avec son imposant château, classé parmi ls plus beaux villages de France.
Le chemin nous a cependant réservé une surprise, héritage de la pluie des derniers jours. Nous avons dû emprunter un étroit sentier en montée, boueux, d’une belle boue glaiseuse et mouillée. J’ai pris le temps de remercier mes bottes et mes bâtons.
Il a plu, la fatigue se fait sentir. Nous avons vadrouillé les rues d’Estaing une partie de l’après-midi.
La propriétaire de l’hôtel nous raconte l’évolution de la commune, précise l’histoire du rachat du château et du nom par la famille Giscard-d’Estaing. Elle demande par quel chemin nous comptons nous rendre à Espeyrac et nous suggère fortement un raccourci par la GR6 qui nous fera sauver au minimum 3 kilomètres.
Ce soir-là, tandis que nous sommes attablés, nous apercevons Sébastien que nous n’avons pas revu depuis Le Sauvage. Il nous rejoint et nous échangeons encore sur ce qui nous a emmené sur le chemin. Dans son cas, c’est la maladie. Il a orchestré une levée de fonds sous forme de sociofinancement pour défrayer une partie du coût de son pèlerinage. Il compte se rendre jusqu’à St-Jacques. Je devrais avoir des nouvelles d’ici 3-4 mois, à son retour.
Comme il a oublié ses lunettes sur la table du resto, la propriétaire est venue nous les porter. Le lendemain matin, environ une demi-heure avant notre départ, on cogne à la porte, c’est Sébastien qui vient chercher ses lunettes. Il annonce qu’il prend la route. Nous lui disons aurevoir, sachant que nous ne le reverrons plus.
Jour 9 : Estaing – Espeyrac 25 km
Beaucoup de bitume. De longues montées et de longues descentes en lacets sur l’asphalte. Par contre, comme les dénivelés sont doux, je me sens bien. Je suis habituée de marcher sur l’asphalte, et les longues descentes ne perturbent pas mes genoux.
Espeyrac est une commune d’un peu plus de 200 habitants.
Au risque de passer pour alcooliques, je nous situe encore une fois attablés devant une bière. Espeyrac est tout petit, et il n’y a qu’une route qui traverse le village. Nous sirotons notre bière quand notre ami Sébastien apparaît devant nous. Nous sommes réellement surpris car il est parti avant nous et il a pris un raccourci. Nous l’invitons à se joindre à nous, mais il décline car il a encore 3 kilomètres à marcher et que s’il s’arrête, il ne se relèvera plus. On se dit adieu encore une fois.
Comme il ne se passe pas beaucoup de choses dans une journée, et que les sujets de conversation deviennent plus rares, on joue à Radio Camino : et si les habitants d’Estaing se liguaient pour faire une bonne blague aux pèlerins et les faisaient passer par un chemin plus long ??
C’est le premier soir où il n’y a pas de chambre de bain complète dans les chambres. Il y a douche et lavabo, mais il faut aller dans le corridor pour la toilette.
Le temps se maintient, mais il fait toujours aussi frais, ce qui est toutefois confortable pour marcher.
Jour 10 : Espeyrac – Conques 13 km
Après une courte marche d’à peine un peu plus de deux heures, nous arrivons au terme de notre voyage, dans ce joyau, haut lieu de pèlerinage depuis le Xième siècle. C’était à l’origine une ville close, et on peut voir encore les portes. L’enceinte fortifiée est toujours visible et il reste quelques tourelles, notamment, celle du cimetière.
Conques est également classé parmi les plus beaux villages de France et reste à ce jour l’un des plus importants centres d’arts et de spiritualité en Occident.
Nous prenons le temps de vadrouiller les rues de Conques, visiter l’imposante abbaye Sainte-Foy. Puis, c’est le temps de la récompense. C’est la deuxième fois que je passe par Conques, je crois maintenant appartenir au Camino, et je m’offre un cadeau pour marquer ce nouveau lien : une breloque représentant la fameuse coquille.
Coup de théâtre : moins de douze minutes plus tard, René devient l’heureux propriétaire d’un superbe couteau Laguiole. Plus tard il déclarera que ce couteau servira à couper le fromage. Mais je n’ai aucune idée d’où il l’a rangé.
Au bar, en ce dernier soir, nous voyons passer Anne et John. Nous les hélons. Ils nous rejoignent pour l’apéro et comme leur resto est le même que nous, nous passons une joyeuse soirée ensemble.
Retour au bercail en passant par Lyon
Au bout du compte, nous avons fait un magnifique voyage. René qui venait tout juste de prendre sa retraite n’a pas reçu l’illumination souhaitée pour le guider pour la suite des choses, mais nous avons passé deux semaines au grand air.
Une navette est venue nous prendre à Conques pour nous ramener au Puy. J’étais un peu inquiète car je n’avais pas de billet de train pour rejoindre Lyon, et je ne savais pas trop pour la grève des cheminots qui réclament toujours leur prime au charbon. La veille du retour je ne pouvais pas réserver de train. Ce n’est que le matin du départ que j’ai pu avoir un train de St-Étienne jusqu’à Lyon. Mais encore fallait-il se rendre du Puy à St-Étienne. Il nous a fallu 4 heures pour parcourir 226 kilomètres. Nous avons eu affaire à un jeune en probation qui en était à sa 2ème journée de travail avec le transporteur. Au cours de ces 4 heures, son patron lui a demandé d’aller cher d’autres clients, le jeune s’est mêlé dans la programmation de son navigateur, s’est égaré, le patron l’a congédié. Il a fait des appels pour se trouver un autre emploi. Un bel exercice de patience de notre part. Finalement au Puy il était trop tard pour trouver un blablacar pour St-Étienne, nous avons pris un taxi qui nous a coûté une fortune, mais c’est franchement le seul désagrément de tout le voyage.
Nous étions passé par Lyon une seule soirée en 1997. Plus de vingt ans plus tard, nous retrouvons la même ville, toujours aussi belle. Mais cette fois-ci, nous avons le luxe de prendre le temps de visiter ses théâtres romains, ses somptueuses églises – la cathédrale St-Jean et la basilique Notre-Dame de Fourvière.
J’ai voulu que René joue à l’acteur romain sur le petit théâtre. Il a refusé. Mais j’ai trouvé dans mes photos la preuve que plus jeune, il était partant pour faire des stupidités… j’espère que la retraite le rajeunira 😉